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Devenir mère - Récit de l'Inde épisode 3



Détail d'une peinture de la vierge de Fra Angelico)





              La chaleur étouffante de Goa nous contraignait à un confinement quasi permanent. Même la lumière était brûlante. Elle semblait menacer la jungle entière de prendre feu et fondre.

Ce confinement forcé me contrariait, je me sentais bloquée. Mon ventre était gigantesque, la chaleur était suffocante et me rendait irritée et fatiguée.


Nous nous étions installé ici pour donner naissance à notre enfant. Loin de nos familles, loin de nos habitudes, loin du climat pour lequel nos corps étaient fait. Seuls. Nous réjouissants de la nature, des singes, et d’innombrables oiseaux qui habitent la jungle et offrent d’apparaitre de temps en temps à notre vue, de l’autre coté de la fenêtre.


Enceinte, je savais, quelque part, que le potentiel de la mère vivait en moi, mais je ne me doutais pas qu’il faudrait en exhumer les clés, protégées, enfouis dans les sables du temps, de la mémoires des femmes qui m’ont précédé.


C’est alors qu’un matin d’été, ici en Inde, s’offrit par ce corps un petit être au monde, et me fit accéder au chemin du devenir mère.


Car il est vrai, l’on ne devient pas mère durant la grossesse, ni même lorsque l’on accouche, ni vraiment durant les premiers mois. C’est un processus, un mouvement.

C’est une danse entre quelque chose qui se défait, et quelque chose qui apparait..


La jeune fille lentement fond et se dissous. La mère apparait, non pas seulement comme un instinct, mais comme un modèle que l’on vient puiser dans l’universel, un bain que l’on vient prendre dans le grand océan de la Vie.


Nous téléchargeons la Mère - et la Mère se donne à nous. La mère se donne à mesure que les anciens voile se retirent. L’égoïsme et l’ambition tombent plus ou moins douloureusement. Ce n’est certe pas définitif, c’est plus comme une intégration. Pour un temps, si l’on veut laisser la mère advenir à travers nous, il nous faut lâcher la jeune fille que nous fûment.


Une mère n’a pas d’ambition

Une mère ne réalise rien

Une mère est invisible au monde

Elle ne possède rien - ni son temps, ni son corps. Elle est dépossédée.

Autant d’image qui m’habitait, venant d’on ne sais où - de ma propre mère, de ma grand-mère, du regards de mon père et des hommes, de la société, et de mon expérience… un subtil mélange de tout cela.


Laisser tomber les voiles pour entrer dans le processus, parfois long et laborieux, bien que porté par la grâce, de devenir mère.

J’ai accouché de celui qui me l’enseigne.



*


J’avais 6 ans, peut-être 7.

Mes nuits étaient peuplées de monstres. Je m’endormaient aux sons de l’activité de mes parents. Surtout celles de ma mère. Lorsqu’elle nettoyaient la cuisine ou repassait le linge, rangeait ici ou là. Il n’y avaient rien de plus doux que les murmures de ses gestes tapis dans l’ombre de la nuit.


Une nuit, un cauchemar particulièrement effrayant avait pris en otage tout mon être d’enfant. Je ne savait pas comment revenir. Probablement que j’appela ma mère, car elle vint alors, et s’agenouilla à la hauteur de mon lit. Elle me caressa le front, je lui racontait mon rêve.

C’est alors qu’elle me transmit un héritage, un chant, me disant que je pouvait le chanter à chaque fois que la peur m’assaillait. Il s’agissait d’un chant à la sainte vierge.

Cette formule magique qui m’était donnée, fut aussi un message d’une autre nature, il m’atteignit sur un autre plan, une autre dimension. Elle me disait “je suis ta mère… et voici notre Mère à tous”. Souvient toi qu’Elle est en toi.


*


Malgré les difficultés et les sentiments ambivalents de la parentalité, toute mère vit cet amour qui pardonne tout, qui oublie tout, et jusqu’à s’oublier soi même. Toute mère je crois, même celles qui s’y refusent au premier abords, même celles qui regrettent, font l’expérience du terrible amour qui vous déchire le coeur en pièce.


La mère donne son sein, son corps, ses nuits et ses heures, ses repères. Pour un temps, elle abandonne ses ambitions, ses limites, et jusqu’à son corps.


Quand je dit que la mère abandonne son corps, cela ne sous entend pas qu’il appartient désormais à son enfant, ou a quiconque.. cela ne veux pas dire qu’elle est esclave d’un autre. Il ne s’agit pas d’un geste sociale. Cet abandon est un don, dans les profondeur, c’est un renoncement. Elle s’offre, et ce qu’elle reçois, nulle ne peut l’imaginer. Seule les mères le savent et peuvent à peine en faire allusion.


Oui, ce processus, ce voyage vers la Mère, peut-être douloureux.

Les mères en parlent peu. Peut être parce que la nuit tombée, le visage de l’enfant endormis, paisible, plongé dans l’océan de la conscience, contemplant cela, humant le parfum de sa peau, nos peines coulent elles aussi et se transforment en baisers.

Cette plongée que l’on entreprend, contre son gré, dans la grande Mer, perdant pieds souvent, manquant de se noyer, n’appartient pas à notre décision.

Que nous résistons ou que nous nous offrions toute entière, nous y allons, dans les eaux abyssales et sombres de la Mère.

Notre volonté cris, tournée vers le passé, lui priant de revenir. Nous crions vers la jeune fille, la cherchant des yeux, n’apercevant que les plies de sa robes fuir notre champs de vision.


Au petit matin, après une nuits à avoir nourris et réconforté notre enfants, les yeux à demi éteints, il n’y a personne pour remercier la mère, pour témoigner de ce qu’elle à donner une fois de plus.

Alors il faut prendre la reconnaissance. Se la donné, la cueillir lorsqu’elle se reflète dans le regards de l’enfant, lorsqu’elle apparait en miroir, dans la pureté d’un rayon de soleil ou de lune.


Souvent, la mère suffoques. Il lui faut prendre l’air, sortir, se défaire ne serais ce que cinq minutes de cette responsabilité charnelle. Et souvent, il ne lui est pas donné cet espace. C’est alors que - se laissant submergé, se laissant prendre par le chaos, les yeux ouverts et le coeur vigilant, il lui semble donner jusqu’au dernier souffle d’amour qu’elle pouvait trouver en elle.

Comme celui qui, au tréfonds d’une grotte obscure, tente d’extraire le minerais précieux, suivant un filon quasi invisible à l’oeil, la mère découvre de cette manière la ressource d’amour qu’elle contient et qui finalement la contient toute entière. Même dans la détresse, la fatigue, la colère, et les sentiments intraduisibles qui peuvent se manifester, elle fait toujours le choix de l’amour.


(à suivre)


Art & Yoga

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