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Récit d'un voyage en Inde - Episode 2



La réalité est toujours plus douce que ce que vous vous racontez à son sujet.

Byron Katie


J’ai d’abord parlé de l’inconfort que la vie en Inde m’amenait à vivre. Car c’est là une source d’apprentissage et d’enseignement. Sortir de sa zone de confort et se confronter à un mode de vie different met en lumière les béquilles parfois grossières mais souvent devenues imperceptibles que nous avons misent en place pour maintenir notre équilibre.


Mais l’Inde n’a pas été qu’une expérience inconfortable. Ce voyage a été une invitation à l’émerveillement et à l’étonnement quotidien. Ce pays a quelque chose de magique, voir d’envoutant : la persistance de mode de vie simple, de tradition ancestrale telles que l’Ayurveda et le yoga, et l’omniprésence des rites religieux dans la société donne l’impression d’un voyage dans le temps.

De nombreuses fois, alors que nous parcourions les routes du Maharashtra j’avais ce sentiment de vivre un rêve éveillé. Comme si la réalité était vêtue d’un léger voile (ou d’une lunette) et que je l’observais d’un point de vue distancié sans y participer complètement.


Tout était sujet à curiosité et m’invitait à la contemplation.


Combien j’aurai voulu être invisible pour contempler librement la beauté des femmes dans leur sari chatoyant vaquer à leur occupation quotidienne avec grâce.


Dans les campagnes encore plus qu’en ville, dans la douce tiédeur du soir, les femmes du village, y compris les plus anciennes, s’asseyaient en tailleur dans une posture souple et legère, semblaient contempler le silence. Les hommes fumaient ou discutaient autour d’un chai, assis sur le sol ou semi allongé sur des paillasse ou des couvertures.


Nous croisions souvent des nomades venus du Rajasthan, leur démarches souples rappelait la lente et gracieuse démarche des dromadaires qui accompagnaient leur troupeau de brebis ou de chèvre.


Lorsque le soleil brulant de l’été finit par disparaitre derrière les épais nuages de la mousson, tout se mis à revivre, et tous célébrèrent l’arrivée de la pluie. En quelques jours les champs, les arbres et les jardins furent parés d’un vert magnétique et pétillant, pour la plus grande joie des vaches et des buffles.


Il suffit de vivre en dehors des villes pour se voir gratifier la présence des animaux sauvages qui côtoient l’homme. Lorsque nous vivions à Assagao les singes passaient régulièrement dans notre jardin pour y prendre leur petit déjeuner dans l’arbre à cajou, nous nous amusions à les regarder dissimulé derrière la vitre de la bais vitré de notre chambre afin de ne pas les déranger ou les faire fuir.


Et quelque fois nous avons aperçu le grand et magestueux Hornbill, cet oiseau au double bec et aux ailes immenses qui fait penser à un totem amérindien. Il est plutôt rare de les apercevoir, alors leur vision nous remplissait d’une joie euphorique.


Je dis souvent que l’Inde est fascinante. Il est vrai qu’il y a quelque chose de magique, quelque chose qui court-circuite la pensée pour vous faire plonger, non sans peur, dans une expérience au delà des mots et surtout au delà des jugements et des croyances bien bâties par notre mode de vie et culture occidentale.


Ici, même les visons les plus effrayantes recèlent une forme de beauté cru et sauvage qui nous laisse le regard nu.


Cette beauté cru est peut-être l’une des spécialités de l’Inde : donner à voir ce que l’on aimerait cacher, ce que l’on voudrait ignorer, ce qui est dérangeant. La pauvreté, les personnes estropiés, les enfants des rues…

Certaines visions viennent comme abimer le coeur - le retourner dans ses profondeurs -, jusqu’à parfois le déchirer.


Il est tentant de nous rebeller intérieurement contre cette réalité difficile à regarder en face. Voir même, ne pas réagir peut nous sembler offensant et irrespectueux pour ces êtres dont la vie semble difficile et injuste.


Mais si l’on n’oppose pas de résistance à cette sensation de dégout ou d’injustice, si l’on s’y dépose même, si on l’accueil, abandonnant tout jugement, ce qui se brise dans notre poitrine laisse place à ce qui ne peut être briser : un espace. Alors, pour un instant, parfois fugitif, le coeur devient spatiale.


Et dans cet espace, les êtres et les choses apparaissent. L’injustice laisse place à la réalité. Et la réalité nous dévoile souvent qu’il est inutile voir arrogant de se plaindre de la situation d’un autre dont on ne sait rien sinon qu’il représente inconsciemment pour nous un échec ou une forme de perte.


Sur le visage des enfants des rues, fille et fils de gitan ou de familles des bidonvilles, apparaissent des sourires et des rires intrépides. Les personnes estropiées vaquent à leurs occupations sans se soucier des autres. Les habitations de fortunes s’animent de familles pleines de vie.


Lorsque le coeur devient spatial, il n’y a plus rien à briser, il ne reste qu’une douce chaleur au centre de la poitrine, une expansion, un repos de l’esprit, un regard qui s’est déposé au delà du langage.


Je me souviens d’une expérience, il y a maintenant plusieurs années, je marchais depuis quelques semaines sur les chemins de Compostelle. Je me trouvais alors sur les plateaux de l’Aubrac, le vent venait frapper mon visage, le corps emmitouflé dans un manteau de pluie était fatigué et s’était abandonné à cette douce sensation que l’on ressent lorsque l’on est bien au chaud en hivers.

Depuis plusieurs heures j’étais parfaitement seule. Vers le milieu du jour, j’arrivais au terme de mon ascension, sur le haut plateau le ciel était immense. Il semblait y avoir plus de ciel que de terre.

Il se trouvait là une vache.

Nous nous sommes regardé, et il m’a semblé voir dans son regards une expression d’un autre temps, j’y ai vu la Vie, la Déesse Mère, je ne sais trop comment nommer cela, mais mon coeur se mit à fondre en larme. A l’échange de ce regard profond, nous avons partagé la même réalité, Une, sans nom, pendant un instant, il n’y avait plus de vache ni de femme, mais une présence, un regard pure.



La première fois que je me suis rendu à Dhar, dans le Madhia Pradesh. Nous traversions la ville en voiture, les rues étroites et passagères, où il faut se frayer un chemin entre les vaches, les chiens et les piétons laissèrent place à une route plus large et quasi déserte, des terrains vagues ou paissait des buffles à la couleur de l’ébène et quelques chiens formait les seules présences en ce lieu. Et là sur le bord, un corps échoué à demi entre le trottoir et la route, un corps d’homme parfaitement immobile, lourd et vide. Effrayée, je me suis demandé s’il était vivant. Oui, il l’était, l’ivresse avait plongé son corps dans un semi coma.


Une vision cru, inhabituelle, à le pouvoir de retourner la pensée, de nous plonger directement dans l’expérience. On pourrait être tenter de nommer, tout de suite ce que l’on vit. C’est ce que l’on fait souvent, en tout cas c’est ce que je fait trop souvent. Nommer revient à saisir. Nous voulons saisir ce qui se vit, donner un sens et comprendre. Tout cela est bon. Mais cela vient aussi figer l’expérience vivante et sauvage de l’instant.


Si l’on ne nomme pas, alors, le regard s’abime, c’est à dire, se retourne et plonge dans l’espace intérieur, la mâchoire se relâche, les yeux, les épaules, les mains se relâchent, tout le corps se dépose, le silence s’expand et tisse l’espace autour. Pour un instant, il n’y a plus personne qui regarde, il n’y a qu’un espace vivant. Cet espace que l’on appelle aussi Amour, car tout jugement y et dissous, et les liens invisibles qui relient chaque chose en ce monde y apparaissent.

Art & Yoga

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